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Pourquoi aborder la sexualité dans l’élaboration de programmes relatifs au mariage des enfants ?

Les lecteurs peuvent découvrir ici les différentes voies par lesquelles les normes sociales relatives à la sexualité des filles peuvent mener à des mariages d’enfants. Bien que l’inégalité de genre et les normes concernant la sexualité des filles soient des facteurs significatifs du mariage des enfants, celles-ci sont souvent abordées de façon insuffisante dans les approches d’intervention ordinaires.

L’inégalité de genre comme facteur principal du mariage des enfants
Malgré ses effets néfastes sur la santé et le bien-être des filles, des femmes et des communautés, la pratique du mariage des enfants — ou du mariage avant l’âge de 18 ans — reste courante dans de nombreuses régions du monde. Le mariage des enfants est soutenu par une série de facteurs aggravants qui agissent simultanément à plusieurs niveaux.

Au niveau sociétal, le mariage des enfants peut être renforcé par :

  • Des croyances religieuses et/ou conservatives ;
  • Des pratiques culturelles ;
  • Et des normes patriarcales qui visent à contrôler la sexualité des filles, reléguer la fertilité dans le mariage et lier la virginité d’une fille à l’honneur de sa famille.

Au niveau de la communauté, les normes sociales dictent les rôles que les filles et les femmes peuvent effectuer, pressant les filles de se marier tôt pour éviter les relations sexuelles ou les grossesses avant le mariage, garantissant leur bien-être financier et assumant les rôles respectifs d’épouses et de mères dans les domiciles conjugaux.

Des facteurs structurels empêchent les filles et les femmes d’accéder aux possibilités éducationnelles et économiques nécessaires pour garantir des moyens de subsistance plus indépendants. De même, les cadres légaux renforcent les structures de pouvoir inégales qui maintiennent la dépendance des femmes aux hommes. Dans les environnements pauvres en ressources, les parents doivent parfois faire des choix au niveau du ménage, par exemple, privilégier certains de leurs enfants pour l’investissement éducationnel, ce qui a un impact pour l’éducation des filles (Parsons et al., 2015).

A un niveau individuel, les filles peuvent avoir intériorisé des normes sur la désirabilité du mariage précoce et de la procréation, ou elles peuvent considérer le mariage précoce comme une façon de garantir leurs besoins matériels tout en obtenant l’appui de la communauté. D’autres filles ne souhaitent peut-être pas se marier en tant qu’adolescentes mais n’ont peut-être pas la confiance, l’auto-efficacité ou le droit de s’exprimer contre leurs parents ou les attentes d’autres membres influents de la communauté.


L’inégalité de genre est à l’origine de chacune de ces forces.
L’inégalité de genre détermine l’accès différentiel aux ressources et opportunités, menant au mariage des enfants pour un nombre trop important de filles. Les chocs externes provoqués par des conflits violents ou des catastrophes environnementales exacerbent la pauvreté et l’inégalité de genre à de nombreux niveaux, ce qui a à son tour les répercussions négatives du mariage des enfants (Girls Not Brides, 2016; Schlecht, 2016).

Les voies habituelles reliant la sexualité des filles et le mariage des enfants

Alors que le mariage des enfants est fondamentalement une question d’équité de genre, les façons dont les croyances et les normes liées à la sexualité des filles déterminent la pratique varient beaucoup d’un contexte à l’autre. Le projet d’apprentissage de More Than Brides Alliance examine les points communs et les différences dans la façon dont les croyances, les peurs et les anxiétés liées à la sexualité des filles mènent au mariage des enfants dans les différents contextes.

Relations sexuelles avant le mariage et grossesse

Dans de nombreux contextes, particulièrement pour les filles, les relations sexuelles avant le mariage sont très stigmatisées. La crainte qu’une fille s’engage dans des relations sexuelles avant le mariage et/ou tombe enceinte en dehors du mariage est parmi les facteurs les plus puissants du mariage des enfants. Les parents souhaitent que leurs filles soient mariées avant leurs premières expériences sexuelles. Par conséquent, un mariage précoce est souvent considéré comme un facteur de protection contre la grossesse avant le mariage qui est synonyme de honte ou d’insécurité, ce qui peut influencer les possibilités futures de mariage d’une fille ou ‘l’éligibilité au mariage’.

Dans les contextes où le mariage des enfants est fréquent et où les relations sexuelles avant le mariage sont plus courantes et socialement acceptables, la procréation est toujours supposée avoir lieu exclusivement dans le mariage. Dans ces contextes, quand une adolescente tombe enceinte, cette grossesse entraine un mariage d’enfants. La fille est supposée marier l’homme ou le garçon qui est le père, assurant que son enfant naisse et soit élevé dans le mariage. En d’autres mots, dans les régions où les relations sexuelles avant le mariage sont acceptées, tomber enceinte suite à ces relations est souvent cité comme la principale raison du mariage des enfants.

Bien sûr, les relations sexuelles et la grossesse peuvent également avoir lieu en-dehors de relations romantiques. Cependant, le résultat est semblable, étant donné l’attente qu’elle marie le partenaire sexuel qui l’a mise enceinte. Dans certains contextes, le commerce sexuel — ce qui décrit une large gamme de comportements allant de l’échange de rapports sexuels contre des cadeaux au travail sexuel commercial formel — est courant parmi les adolescentes. Dans ce cas, une éventuelle grossesse entraîne également un mariage d’enfants. Même quand les grossesses résultent d’un viol, le mariage des enfants a souvent lieu car les filles sont contraintes de marier la personne qui les a agressées.

Crainte de la violence physique et sexuelle

La recherche démontre que dans de nombreux contextes, la menace et/ou la crainte de la violence physique et sexuelle est un autre facteur important du mariage des enfants. Dans ces contextes, les changements physiques que les filles connaissent à la puberté entraînent la crainte et l’anxiété que les filles soient plus exposées au risque d’une attention sexuelle non désirée, de harcèlement ou de viol. Par conséquent, les parents prennent des mesures de précaution et marient leurs filles adolescentes pour s’assurer qu’elles ne soient pas la cible de violence sexuelle. Ici, les parents voient le mariage comme un moyen de garantir la sécurité sexuelle de leurs filles.

Virginité, honneur et éligibilité au mariage

Même dans des cas impliquant la contrainte ou la violence, les relations sexuelles avant le mariage vont strictement à l’encontre de la norme pour les filles dans de nombreux contextes. C’est étroitement lié à la fille et à l’honneur de sa famille. Quand la virginité d’une fille avant le mariage affecte sa réputation et l’honneur familial, les parents peuvent rechercher un mariage précoce pour se protéger contre la possibilité que leur fille puisse s’engager dans une relation sexuelle et apporter la honte à sa famille. Ceci est particulièrement vrai si d’autres perçoivent l’apparence physique et le comportement de la fille comme provocants ou légers.

Dans des régions où les moyens de subsistance des adolescentes sont principalement garantis par le mariage, la virginité d’une fille acquiert une valeur économique. Ici, le comportement sexuel est vu comme diminuant l’éligibilité au mariage future d’une fille. Les filles qui manifestent déjà un comportement sexuel peuvent avoir plus de difficultés à trouver un époux que leurs familles considèrent approprié, peuvent représenter un prix moindre de la fiancée ou être obligées de payer une dot plus élevée aux familles de leurs maris. Par conséquent, les parents peuvent se sentir contraints de marier leurs filles plut tôt pour garantir : leur virginité au moment du mariage ; pour maximiser leur ‘valeur’ sur le marché du mariage ; et pour minimiser les coûts du mariage pour la famille.

Fertilité et normes sociales

Dans de nombreux contextes, les normes sociales promouvant une fertilité élevée créent une pression supplémentaire, associant la sexualité des filles au mariage des enfants. Particulièrement dans des régions où les relations sexuelles ont exclusivement lieu dans le mariage, le désir d’exploiter au maximum la fertilité des filles après la puberté peut conduire à des mariages précoces. Dans certaines régions, le désir de se marier et de démontrer sa fertilité à ses pairs et à la communauté renforce le mariage des enfants parmi les filles et la communauté en général (Adjamagbo-Johnson, 2017).

Approches dans l’élaboration de programmes relatifs au mariage des enfants

Ces dernières années, l’élimination du mariage des enfants est devenue une priorité pour les politiques et les professionnels. Cependant, des difficultés importantes subsistent. Un examen rigoureux des programmes récents sur le mariage des enfants illustre que ces programmes ciblent souvent des facteurs du mariage des enfants à travers un ou plusieurs composants économiques éducationnels, basés sur la communauté et liés à l’autonomisation (Chae & Ngo, 2017).

La Théorie du Changement de Girls Not Brides : le partenariat mondial pour mettre fin au mariage des enfants organise des approches communes d’intervention relatives au mariage des enfants en cinq catégories :

  • Autonomisation des filles — cela consiste à organiser, pour des groupes de filles, des activités qui cherchent à développer des connaissances, des compétences et un mouvement de solidarité entre adolescentes ;
  • Mobilisation des familles et des communautés — cela comporte des campagnes de sensibilisation de la communauté aux droits des filles et engage les familles à prendre en considération des alternatives au mariage précoce) ;
  • Fourniture de services — cela comporte l’éduction, les services de santé et des services de support socio-économiques pour les filles ;
  • Etablissement et mise en œuvre de lois et de politiques — cela inclut le développement et la mise en œuvre de lois nationales et régionales parallèlement aux mécanismes de protection des enfants, et
  • Création et diffusion de messages de communication — cela inclut X, Y, Z, et des campagnes médiatiques.

Alors que certains programmes ont un impact manifeste dans la diminution du mariage des enfants, – particulièrement les interventions qui incluent une approche d’autonomisation (Chae & Ngo, 2017) —beaucoup restent incapables d’augmenter de façon significative l’âge de mariage pour les filles. Bien que les questions de genre et de sexualité sont de plus en plus reconnues comme centrales dans l’élaboration d’opportunités pour les filles exposées au risque du mariage des enfants (Greene et al., 2018), des obstacles importants existent quand il s’agit d’aborder des sujets liés à la sexualité en pratique.

Dans certains cas, les responsables de la mise en œuvre peuvent éprouver des difficultés pour transposer des liens conceptuels entre sexualité adolescente et mariage des enfants en des stratégies de programme concrètes. Les responsables de la mise en œuvre rapportent également que souvent, les parents ne considèrent pas le contenu lié à la sexualité comme approprié pour impliquer leurs enfants. Par ailleurs, les tabous sociaux, l’opposition politique et religieuse et autres barrières culturelles limitent les sujets que les programmes peuvent effectivement aborder. Les normes patriarcales sociales profondément ancrées restent un obstacle important à de nombreux niveaux. MTBA estime que pour avoir véritablement un impact dans le report du mariage pour les filles, les programmes doivent trouver des façons d’impliquer les communautés dans les conversations difficiles liées à l’inégalité de genre et le contrôle de la sexualité féminine.

Qu’entend atteindre ce site web ?

Le présent site web vise à explorer différentes voies mettant en relation la sexualité et le mariage des enfants, à mettre en lumière les difficultés de programme impliquées dans chaque voie et à générer des recommandations pour intégrer effectivement le contenu sur les facteurs liés à la sexualité du mariage des enfants dans différents programmes visant le report du mariage, l’autonomisation des filles et la diminution des inégalités de genre. Les informations présentées sur ce site web ont été développées sur base de différentes méthodes d’apprentissage et d’échange telles que :

  • La compilation de données de recherche quantitatives et qualitatives ;
  • La documentation des réflexions des responsables de la mise en œuvre du programme ;
  • La facilitation d’apprentissage et d’échange entre les professionnels et les communautés dans neuf pays ayant une forte prévalence du mariage des enfants ; et
  • Le fait de baser les conclusions sur les connaissances partagées par les filles, générées dans le cadre de la recherche menée par les jeunes.

Références :
Chae, S., & Ngo, T.D. (2017). The Global State of Evidence on Interventions to Prevent Child Marriage. GIRL Center Research Brief No. 1. New York: Population Council. https://knowledgecommons.popcouncil.org/departments_sbsr-pgy/533/

Girls Not Brides. (2016). “Child Marriage And Humanitarian Crises”: https://www.girlsnotbrides.org/wp- content/uploads/2016/05/Child-marriage-and-humanitarian-crises-June-2016.pdf

Greene, M., Perlson, S., Hart, J., & Mullinax, M. (2018). The centrality of sexuality for understanding child, early and forced marriage. Washington, DC: GreeneWorks and American Jewish World Service. https://ajws.org/wp-content/uploads/2018/05/centrality_of_sex__final.pdf

Parsons, J., Edmeades, J., Kes, A., Petroni, S., Sexton, M., & Wodon, Q. (2015). Economic Impacts of Child Marriage: A Review of the Literature. The Review of Faith & International Affairs, 13(3), 12- 22. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15570274.2015.1075757?scroll=top&needAccess=true

Schlecht, J. (2016). A Girl No More: The Changing Norms of Child Marriage in Conflict. New York: Women’s Refugee Commission.
https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Changing-Norms-of-Child-Marriage-in- Conflict.pdf

Adjamagbo-Johnson, B.D.K. (2017). Lutter Contre les Mariages Précoces par l’Autonomisation des Filles au Niger: Rapport Définitif de l’Etude de Base. Women in Law and Development in Africa— Afrique de l’Ouest (Wildaf-AO). https://idl-bnc-idrc.dspacedirect.org/bitstream/handle/10625/58418/58548.pdf

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